mardi 9 décembre 2014

ERIC sur le chemin du retour


10/12/14 23h33 ERIC nous envoie un mail intitulé "DERNIER JOUR"

bonjour à tous
Il y a des jours ou on ferait mieux de ne pas se lever,et d'autres ou il vaudrait mieux ne pas se coucher!

La veille j'avais passé 6 heures de ma vie,en pleine nuit, a chercher une bouteille de rhum de 4 mètres de haut et 2 de large,pour lui tourner autour et etre enfin libre de circuler vers Point a Pitre par le canal des
Saintes.

Il a fallut barrer tour le temps par des vents qui devraient plutôt s'appeler des brises,des souffles,des senteurs,des effluves, des pets, silencieux en plus.

Pendant quatre semaines tu étais sur le pont nuit et jour ,mais seulement maintenant tu es pressé d'arriver,d'embrasser tes proches,faire la fête ensemble,parler du combat,et refaire plusieurs fois le Rhum a
l’envers, après l'avoir fait une fois une fois a l’endroit.

Mais il te faut faire se mouvoir 13 tonnes,vers un point précis,la bouteille de rhum,avec sa lampe flash... que tu ne vois pas.

Finalement,a 0,3 nds de vitesse ,content déjà d’être en marche avant,elle est la tout prêt,tu la vois passer,sans comprendre comment tu ne l’avais pas vu avant.

D'un seul coup le vent reprends de la vigueur,pour te féliciter et tu file vers  le phare... de la délivrance.

Des cris te saluent,venant de la terre.

Des hommes qui t'attendaient,au pied du phare,qui connaissent ton nom,qui le crient dans la nuit,avec bon vent! ou bravo! ou courage! en
accompagnement.

Pour leur faire plaisir, le projecteur de pont allumé, quelques pas de danse, sur le pont avant, des cris gutturaux, les bras levés en V , les points serrés, drapeau catalan brandit dans la nuit, sur de toi, sur d'avoir ton nom sur le palmarès, chargé a bloc, grâce a eux, illustres inconnus, mais présents pour t’accueillir alors que ça fait quatre semaines que tu n'as vu personne et qu'il ne te reste pas plus que trois heures pour rejoindre la ligne d’arrivée.

Je suis fatigué, n'ayant pas pu dormir ni dans la journée, ni la veille, je décide de m'accorder 20 minutes de sommeil.

Pour recharger les accus avant d’arriver, car la nuit il n'y aura personne pour te guider, et tout seul, tu devras passer les amarres, mettre les pare battages, te diriger dans la nuit noire dans une marina que tu ne connais pas, entre les hauts fonds, chercher une place, arrêter le bateau , sauter a quai, amarrer Jolokia, et attendre le jour pour que la capitainerie t’accorde une place définitive…

Si j’avais su !!!

Si on m’avait dit que ,quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, à Point a Pitre, le comité d’accueil est la, avec des bateaux rapides, des passionnés, qui viennent a votre rencontre, vous suivent jusqu’au bout, vous montrent la ligne, et une fois passée permettent a vos proches de grimper a bord, que vous soyez le premier ou le dernier, connu  reconnu ou inconnu, ils sont toujours la, a faire "leur Rhum a eux », avec  leurs chants, leurs cris , leur rires, leurs talents...leurs souvenirs.

Si j’avais su... j’aurai tenu, sans dormir.

Il ne restait que trois heures de nav…

J’ai bien dormis.

Presque évanouis,les alarmes retentissants a mes oreilles, ne m’ont pas alertées, l’auto-conditionnement du réveil n’a pas fonctionné, pour la première fois en quatre semaines, là ou il ne fallait pas, là ou jamais je ne l’aurais fait…volontairement.

Je me suis réveillé a cause du mouvement du bateau.

Un mouvement bizarre.

Vertical.

Jolokia tressautait,allant de l’avant,mais pas vraiment, dans un silence seulement entrecoupé de craquements courts, du bruit de l’eau presque trop calme, et de celui du vent sifflant dans la mature comme dans les ports quand les bateaux sont immobiles s’arc-bouttant a leurs amarres …

Dans la nuit noire,encore a moitié estourbit par le sommeil,je suis monté.

Il m’a fallut longtemps pour voir.

Les voiles étaient bordées,bien réglées,au près serré comme je les avais laissées,le bateau légèrement gité...en ordre de marche.

Un coup d’œil vers le haut,et mon sang c’est glacé…

Une énorme masse noire ,au dessus de nous, nous encerclant, nous surplombant, menaçante, immobile, nous scrutant, prête a fondre sur nous, au moindre mouvement, implacable, irrémédiable, incontournable…supérieure, tout simplement.

Je n’avais jamais vu ça.

J’ai tout de suite pensé a un orage, un énorme grain noir, couvrant tout l’horizon du sol au plafond, la chose énorme que l’on ne voit jamais, sauf sous les tropiques, type cyclone, type ouragan, type fin du monde, type tout seul,type perdu,type qu'est-ce que je vais prendre, type fuyons vite!!!

Je me rappelle avoir poussé la barre, pour virer sur place, vite très vite fuir, s’éloigner derrière, la ou on voit encore du clair ou tout du moins du moins obscur, pour éviter la masse menaçante, pour partir loin avant qu’elle n’éclate et me tombe dessus…

Surpris que rien n’y fasse, aucune réaction de Jolokia, je pousse et ramène la barre plusieurs fois, mais rien ne se passe.

Ca n’est pas possible…il y a autre chose.

Un coup d’œil sur le traceur,et pour la deuxième fois en quelques secondes, mon sang repasse au stade glaçon, ma tête me tourne, mes jambes flageolent et dans ma tête un seul mot, un seul cri, qui s’éternise dans la nuit: NOOOON !!!

Sur la carte, je vois de la terre, je vois le dessin du bateau, mais sur la terre, ou tout prêt, trop prêt, je vais toucher !!!

Vite il faut tourner!!! 

Une fois encore je pousse la barre .

Une fois encore je comprends.

C’est trop tard.

Beaucoup trop tard.

Je suis échoué.

Tout est perdu.

Mais qu’elle terre ?

Ou je suis?

Pourquoi?

Je zoom plus grand sur le traceur, et je vois tout : la trajectoire tordue, les Saintes que j’aimais tant, le Pâté que j’ai évité de justesse, et la cote ou je suis ,au pied de la falaise, toute noire dans la nuit noire.
J’éclaire les fonds d’un coup de projecteur, et je vois tout : toute la misère du monde, toutes les tristesses réunies, tous les pires moments, toutes les déchirures, tous les carnages, toutes les séparations,tous les manques a jamais, toutes les disparitions, tous les gâchis …tous les désastres.

Sauver le bateau, sauver Jolokia, sauver ma peau, perdre la course, définitivement, évaluer les risques, faire le bilan, élaborer les solutions, penser aux autres, ceux qui t’ont fait confiance, ceux que tu vas devoir décevoir, a cause d’une erreur, de ton erreur, fatale, impensable, honteuse, ridicule, t’avais pas le droit, mais c’est fini...t’as été nul.

S’en sortir seul, vite!!!

Mettre le moteur en marche, enclencher l’hélice, c’est l’abandon et tu le sais.

Sauver le bateau, ton bateau, ton travail et celui de celle que t’aimes, toute une vie, tous les jours, de la sueur des risques et du courage, t’as pas le droit de lui faire ça, fallait pas être la, c’est ton rêve a toi, celui qu’elle subit depuis un an, sans rien dire, contente pour toi, toujours a tes cotés…incroyablement a tes cotés !!!

Comme si le destin n’en avait pas encore assez malgré ton abandon, moteur a fond en marche arrière, beaucoup de fumée mais rien n’y fait, Jolokia grince, tremble, tressaute, mais reste prisonnier, sa quille dans les rochers.

Les craquements paraissent plus forts, les vagues plus méchantes,la nuit plus noire, Jolokia va mourir, ici, au milieu de nulle part, si tu continues a t’obstiner, si tu n’appelles pas au secours, l’entraide des gens de mer, la solidarité, pour réparer l’erreur humaine ou l’imbécillité.

Par radio je passe un mayday, le Cross Antilles Guyane me réponds, la SNSSM est bientôt la, avec la vedette " Sitot », et trois équipiers.

J’ai eut le temps de ferler les voiles et de tout ranger, encore un peu de fierté, et mettre toutes les chances de mon coté.

J’ai commencé a démonter le système de blocage de la quille, prévoyant de la remonter pour se dégager des roches en douceur, tracté par la vedette.

Avant ça on décide de tenter un premier essai sans remonter la quille,au cas ou, mais même tracté par la vedette et moteur a fond rien n’y fait .

Je me remet a la tache pour libérer la quille, Jolokia stabilisé par le bout de remorquage légèrement maintenu sous traction par la vedette.

Mais les rondins changés à la hâte a Porto, ne sont pas en inox, faute de temps évidemment, et tout a rouillé, rendant très difficile le dévissage des boulons et des goupilles, beaucoup d’efforts physique, avec ma clefs a molette de un mètre acheté avant de partir a Saint Malo, au cas ou…

A bout de force, je suis relayé par Sébastien, un des équipiers de la vedette qui n’hésite pas a plonger dans la nuit pour venir m’aider.

Mais, en ayant tout démonté ou presque, on est bien obligé de se faire une raison: tout est tordu coincé, et on n’y arrivera pas…

Le jour s’est levé, et je m’aperçoit en ressortant, que je suis très près du rivage, beaucoup plus près que je l’imaginais cette nuit, deux longueurs de bateau pas plus.

Il y a 2,30 mètres affichés au sondeur placé a l’avant du bateau, pour un tirant d’eau de 3,50 mètres quille basse, mais la coque flotte, au dessus des roches menaçantes, Jolokia est posé sur sa quille, encastrée entre deux rochers.

La marée aussi est montée, de 50 centimètres et on décide de refaire un essai de tractage.

Je déroule  le génois pour coucher un peu le bateau, et réduire le tirant d’eau.

Cette fois ci c’est la bonne.

Quel bonheur de retrouver Jolokia libre de ses mouvements!!!

On lâche la longe de remorquage, traverse la baie, accroche une bouée de mouillage derrière l’ile Cabrit, le temps d’une plongée pour voir l’état de la quille, et je repars, direction Pointe a Pitre, pour finir ma course, pour aller au bout, pour moi, pour tous ceux qui étaient avec ou derrière moi, pour Jolokia, pour l’honneur, pour l’éternité.

Le vent refuse et avec le courant de presque deux nœuds dans le canal des Saintes, je tire des bords carrés, accrochant comble de malheur une ligne de pêche qui m’oblige a tout arrêter, faire une marche arrière voiles a contre,  avant de repartir.

Les sargasses s’en mêlent aussi, se plaquant aux safrans, ralentissant le bateau, paralysant  le pilote qui se met à biper.

Je me penche a moitié dans l’eau, muni d’une gaffe, je repousse les sargasses, et reprends mon chemin, les muscles des bras encore tétanisés par l’effort.

Et puis ils arrivent, avec leurs bateaux rapide, j’ai du mal a reconnaitre de loin les gens, il me semble voir Christiane et puis ma fille, mais oui ce sont elles , avec pleins d’inconnus, tous souriant, on vous attends depuis hier 18H30 !!!

Mais ou étiez vous?

J’ai été visiter les cailloux des Saintes !!!

Quelques rires, un peu forcés…

Ils m’accompagnent tout du long, bientôt rejoint par une autre vedette , avec des photographes, des journalistes.

A petite vitesse a cause du vent qui tombe mais qui finit par s’orienter SE,  je rallie la ligne d’arrivée, fait péter un feu a main, la nuit étant tombée, pour la lumière, les photos, et le spectacle …

Quelques instant après, les miens montent a bord, retrouvailles, m’aident pour ferler les voiles, mettre les amarres, placer les pares battages, reculer a une place.

Beaucoup de monde sur le quai, un verre de ti punch tendu encore a bord ,des bouteilles de rhum, des cadeaux de bienvenue, un interview complètement groggy, des accolades et des présentations, des photos avec chacun,  et finalement un restaurant servant de la viande ou j’invite tous ceux qui étaient la avec leur bateau super rapide, juste le temps avant de reprendre la mer pour accueillir Vincent le dernier du Rhum,que l’on retrouve en mer avec beaucoup de monde autour de lui,de cris, de chants,de plaisanteries…

Vincent, c’est Eric !

Oh! Eric, je n’ai pas réussi a te rattraper !

C’est vrai, mais sans pilote et très peu d’électronique, le tout étant en panne depuis longtemps…

Encore la fête, toute la nuit, encore très faim, un bœuf Bourguignon a la maison, puis le lit, les crampes nocturnes, les courbatures le matin, et le tangage au lever, pendant des heures, du au mal de terre.

Encore la fête le lendemain, rencontrer d’autres skippers, rassembler ses affaires, préparer le bateau pour qu’il reste quelques mois tout seul, aller a la rencontre des enfants de Convenance, plein de questions et de bisous, parler expliquer, l’avion jusqu’à Paris, le salon Nautique et la remise des prix, soirée avec les vieux amis, puis repas de belle famille, voiture jusqu’à Céret, attendre le Leon qui se fait attendre comme son grand père... finalement.

Je tiens a remercier Jean Luc Faidherbe et Robert Delmas bien sur avec qui j’ai échangé en permanence, pendant cette aventure, mais aussi tous ceux nombreux qui m’ont suivi, aidé, soutenu, sans qui rien de tout ça n’aurait été possible.

Vous avez été là tout le temps, présents dans mon esprit, me donnant le courage et la rage de vaincre ,sans jamais rien lâcher,malgré tous les revirements de situations et les moments difficiles, et croyez moi, il y en a eu des tas.

Merci et désolé de n’avoir  pu faire mieux.

Eric



08/12/14 16:45 Eric sur la route du retour. Passage dans le Larzac
Brrrrr
Demain à Ceret!!! (photos reprises de Defi Cat sur Facebook)



06/12/14 16:38 Eric au salon nautique remise des prix (photos reprises de Defi Cat sur Facebook)


Eric sue la scène !

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